L’invasion d’un matériau devenu incontournable

Apparu au début du XXe siècle, le plastique a connu une expansion fulgurante après la Seconde Guerre mondiale. Léger, résistant et peu coûteux, il s’est imposé dans tous les secteurs : emballages, textile, construction, automobile… En quelques décennies, il a bouleversé nos modes de consommation et transformé durablement notre environnement.

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De la découverte à la production de masse

Si les premières matières plastiques apparaissent dès le XIXe siècle, notamment avec la Parkesine en 1862, c’est en 1907 que le chimiste belge Leo Hendrik Baekeland met au point la bakélite, premier plastique entièrement synthétique. Il ouvre alors la voie à une industrie en pleine expansion. De nouvelles résines plastiques sont créées pour répondre aux besoins croissants des secteurs industriels.

Après la Seconde Guerre mondiale, la production de plastique connaît une explosion. Utilisé massivement durant le conflit dans des domaines comme l’armement, l’aviation et les textiles (le nylon, par exemple, remplaçant la soie dans les parachutes), l'industrie réoriente rapidement sa production vers la consommation de masse. L’essor de la pétrochimie et l’industrialisation accélérée des pays occidentaux favorisent cette transition.

Dans les années 1950, le plastique entre dans les foyers. Il emballe les aliments, remplace les bouteilles en verre, s'invite dans les jouets, les meubles et même les vêtements. Selon le site spécialisé PlastiquesZD, c’est dans le secteur de l’emballage que le plastique trouve son principal débouché. Il répond à la demande croissante de produits pratiques, légers, jetables.

Dans les années 1970, l’industrie développe de nouveaux types de plastiques aux propriétés adaptées à une multitude d’usages. Le polyéthylène téréphtalate (PET), inventé dans les années 1940 mais largement exploité à partir des années 1970, devient la référence pour les bouteilles et les emballages alimentaires.

Un succès aux lourds effets secondaires

Mais ce succès industriel a un revers. Selon un rapport de l’Organisation de Coordination et de Développement Économiques publié en 2022, moins de 10 % des plastiques produits dans le monde sont recyclés. Les autres finissent incinérés, enfouis ou dans la nature.

Chaque année, environ 12 millions de tonnes de plastique sont rejetées dans les océans, d’après l’ONU. Ce matériau, qui met plusieurs siècles à se dégrader, forme des plaques flottantes gigantesques, comme le « 7e continent » de déchets dans le Pacifique.

Le problème est devenu systémique. Selon un rapport parlementaire cité par Le Monde en 2024, les microplastiques ont été détectés dans l’eau potable, l'air et le sang humain. Le plastique ne se contente plus d’emballer : il s’infiltre partout.

Vers un retour à la consigne

Face à cette pollution massive, certaines initiatives renaissent, comme le retour de la consigne. Longtemps abandonnée au profit des emballages jetables, la consigne pour réutilisation ou recyclage revient progressivement dans plusieurs pays européens.

En Allemagne ou en Suède, ce système est déjà bien établi : les consommateurs récupèrent quelques centimes en rapportant leurs bouteilles dans des automates prévus à cet effet. En France, la loi anti-gaspillage pour une économie circulaire (AGEC) prévoit la mise en place de dispositifs similaires d’ici 2025, principalement pour les bouteilles en plastique PET.

Point de collecte de bouteilles plastiques et de canettes dans un supermarché à Bremen, Allemagne

Point de collecte de bouteilles plastiques et de canettes dans un supermarché à Bremen, Allemagne

D’après le ministère de la Transition écologique, la consigne permettrait d’atteindre 90 % de taux de collecte, contre moins de 60 % actuellement. Mais sa mise en place suscite des tensions : les collectivités locales craignent de perdre une partie des revenus liés au recyclage, les centres de tri redoutent une désorganisation de la filière actuelle, et la grande distribution s’inquiète des coûts logistiques que cela implique.

Estelle Dubot Jardon

Place des mots, pollution de TIC 

Le mot plastique est un caméléon linguistique, il peut prendre la forme que l’on décide de lui donner,  il peut rendre visible ce qui ne l’est pas ou assombrir d’un phrasé par un message camouflé d’expressions bien popularisés. « Sourire plastique », « une beauté plastique » Pourquoi le plastique est-il associé à la tyrannie négative de son utilisation ? Pourquoi son utilisation devient alors un raccourci méprisant et très souvent sexiste ? 

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Un sens fondu et refondu

Si l’on s’arrête sur le raccourci fait pour décrire une personne dite « plastique », votre première image est certainement une personne véhiculant l’image de « superficialité », voire même de « vide ». Être catégorisé de vide n’est jamais bien plaisant pour celui ou celle qui le reçoit. En bref, être plastique c’est négatif. 

Pourtant sens noble à l’origine ; du grec plastikos « qui peut-être modelé, façonné » ; il est destitué de son trône avec l’essor industriel de sa matière au début du 20ème siècle. Il est omniprésent dans notre quotidien (bouteilles, vêtements, emballages etc) et est, par sa nature, assimilé à la pollution et à l'artificialité. 

Le plastique à le pouvoir de donner une forme, il est facilement malléable, modelable. Notre langue l'a bien compris. En Français, il est un mot particulièrement polyvalent, il est également associé à l’apparence et … souvent chargé de connotations négatives. 

« Femme plastique » : l’expression d’une injure sexiste

Les expressions quant à elles, ne sont pas vides de sens. « Beauté plastique » ; « c’est une barbie en plastique », insinuant une absence de profondeur et d'intelligence.

Jean-Pierre Darré, docteur en ethnologie définie les expressions par un « point de vue socialement situé, celui d’une pratique, c’est à dire d’une communauté pratique [...] changer « d’expression » n’est plus seulement « changer la façon de dire ». C’est aussi changer ce qu’on a à dire, c’est mieux dire ses buts, mieux dire sa pratique. »

D'après une étude publiée en 2018  sur les injures sexistes, les insultes peuvent être divisées en différentes catégories selon leur contexte et leur forme : injures sexistes professionnelles, (47% des formes verbales) et terminologie sexualisante dans l'espace public (28% des formes verbales). 

Dans l'espace public, les injures sexistes prennent souvent une tournure plus sexualisée comme nous l’explique le rapport de l’ONDRP (l’observatoire national de la délinquance et des réponses pénales). L’insulte « femme plastique » entre dans cette catégorie, où une femme est réduite à l’image d’un objet superficiel et figé. Ce type de langage est répandu, notamment lorsqu’il s’agit de juger les femmes sur leur apparence physique, souvent en minimisant leur valeur au profit de leur image. Cette injure trouve ses racines dans les stéréotypes sexistes.

Les mots ont un sens, on ne s'étonne plus de leur importance dans notre langage. On aimerait enfermer certains mots dans une bouteille, les jeter à la mer, les faire disparaître. Pas de chance, d’autres les recycleront, puis une fois transformés, vous les réutiliserez probablement. Les mots frappent les cœurs et les esprits. Le plastique donne tout de même la capacité de se modeler, de se transformer. Pourrions nous recycler son utilisation linguistique et mettre à la benne toutes ces expressions créés pour dénigrer et hiérarchiser les formes d’expression et disqualifier les corps ? Soyons plastiques ? Osons la transformation et affirmons le droit de se remodeler. 

Clara Duchosal